Les maladies infectieuses constituent aujourd’hui la principale cause de mortalité dans le monde avec 17 millions de victimes chaque année. Affectant principalement les pays en voie de développement, elles sont en recrudescence depuis les années 60. Depuis deux ans toutefois, en raison surtout de l’ampleur prise par l’épidémie du sida qui touche a 90 % les pays en voie de développement, on assiste a un début de mobilisation internationale. En effet, sur les 34,3 millions de personnes vivant avec le virus, moins de 10 % sont diagnostiques et ont accès aux soins, et les pays développes ont peu a peu pris conscience que cela constituait ’une menace pour la paix et la stabilité internationale’, selon les termes employés en janvier 2000, lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Fonds international sida-santé qui a été lancé en avril 2001 par Ko fi Annam, secrétaire général des Nations unies, pour lutter contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont le but est de réunir 7 milliards a 10 milliards de dollars par an ; la Global Alliance for Tuberculosis Drug Development qui a rassemblé 150 millions de dollars sur cinq ans et associe des laboratoires pharmaceutiques comme Aventis, GlaxoSmithKline et AstraZeneca... sont autant d’exemples d’initiatives internationales.
Mais les niveaux de prix pratiqués par les grands groupes pharmaceutiques, établis dans le contexte des marches des pays développes, constituent quant à eux un déni d’accès. C’est surtout le caractère hors du commun de l’épidémie du sida qui a forcé les laboratoires à réagir. Le programme « Access » lancé en mai 2000 à l’initiative de cinq organisations internationales (Onusida, Banque mondiale, OMC, Unicef et le Fonds des Nations unies pour le développement) et cinq laboratoires pharmaceutiques (Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, GlaxoSmithKline, Merck et Roche), après une mise en place laborieuse a finalement été signé par une dizaine de pays. Il a permis, selon l’industrie pharmaceutique, ’des réductions de prix de 80 à 95 % du prix de certaines molécules’ dans les pays signataires. ’La lutte contre le sida dans les pays en voie de développement est extrêmement complexe : difficulté de signer avec les Etats, insuffisance des structures de soins, lourdeur de mise en oeuvre des programmes décidés par les organisations internationales’, expliquent ces mêmes industriels pour justifier des lenteurs. ’Tout cela est vrai, mais, objecte Pierre Chirac, pharmacien de santé publique à Médecins sans frontières, il n’est pas nécessaire d’attendre d’être capable de traiter des centaines de milliers de personnes pour en traiter quelques milliers. Il faut adapter les méthodes de diagnostic et de suivi. La vérité, c’est que les laboratoires pharmaceutiques dans l’ensemble sont hostiles aux baisses de prix, même si certains font preuve de davantage d’ouverture. Ils préfèrent toujours donner de façon ponctuelle plutôt que de s’engager dans des processus dont ils n’ont plus ensuite la maîtrise totale. Leur grande crainte, c’est de voir les baisses de prix contaminer le marché américain, ou les fractions les plus délaissées de la population ne sont pas dans une situation très différente de celle du tiers-monde. L’industrie redoute que les associations de consommateurs ne se saisissent de l’affaire.’ Quant aux importations parallèles, souvent agitées par les groupes pharmaceutiques, les ONG affirment qu’elles restent négligeables. Cela ne les empêche pas, de toutes façons, de se battre pour une double tarification pays développés -pays du Sud et pas seulement pour les médicaments contre le sida. ’Les baisses de prix sont loin de tout résoudre mais sans elles rien n’est possible’, résume Pierre Chirac.
Tirer les prix vers le bas
Et puis d’autres mesures sont envisageables pour améliorer l’accès des pays en voie de développement aux médicaments. Outre l’exploitation des aménagements à la législation sur les brevets pour favoriser les génériques (lire ci-dessous), la négociation de contrats d’approvisionnement en gros, via les ONG ou des organismes comme les Nations unies ou l’Unicef, doit permettre de tirer les prix vers le bas. Enfin il est clair qu’ à terme le développement de capacités de production nationales permet une meilleure maîtrise de l’approvisionnement et constitue un moyen de pression dans les négociations avec les laboratoires occidentaux, comme en témoigne l’exemple du Brésil.
En fait, le problème le plus difficile concerne le traitement des maladies qui n’affectent que les pays insolvables. Depuis la décolonisation, les laboratoires pharmaceutiques ont abandonné la recherche sur les maladies tropicales. Quant à l’armée américaine, grand commanditaire de recherche publique, elle opère désormais davantage dans des régions sèches ! ’Il existe encore des compétences en recherche dans le public et un savoir-faire dans le prive mais ils ne sont pas exploités, déplore-t-on chez MSF, il faut imaginer des solutions.’ L’industrie pourrait par exemple donner accès à ses bibliothèques de molécules, ou faire une partie du développement sous forme de prestations de services. On peut aussi imaginer un dispositif de nature que celui qui a été adopté pour les maladies orphelines...
Finalement, avec un peu plus de souplesse, les laboratoires pharmaceutiques pourraient contribuer plus efficacement une meilleure prise en compte des besoins des plus démunis, même s’il n’est pas de leur ressort de résoudre les problèmes de solvabilité. Alors pourquoi ne le font-ils pas ? Pas forcement par indifférence mais bien plutôt par crainte des investisseurs qui scrutent leurs résultats, prêts a vendre au moindre fléchissement des bénéfices. Difficile dans ces conditions de développer des activités de moindre rentabilité. La balle semble donc bien dans le camp des investisseurs pour qu’ils prennent davantage en compte les critères éthiques.
Pour en savoir plus : dossier du Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, 19 juin 2001 : ’Acces des pays en voie de développement aux médicaments : lieux communs et réalités’.